Événements

Séminaire post-doctoral
« Construire l’altérité. Une exploration des liens
entre esthétique et politique »

Jeudi 28 juin 2018, 9h – 13h15

Salle Jullian, Galerie Colbert (2 rue Vivienne, 75002 Paris)

 

La dimension politique et performative des formes artistiques est au cœur des projets des post-doctorants 2018 du LabEx CAP, qui s’inscrivent dans un champ de recherche élargi. Dans le contexte actuel de créations artistiques, qui se définit par une géographie décentralisée et par des formats hybrides, il semble crucial d’aborder les liens entre création, art et patrimoine à partir des processus créatifs, de la patrimonialisation, des transferts culturels et de l’institutionnalisation. Loin de concevoir le patrimoine comme un corpus figé d’œuvres, d’objets ou de lieux issus du passé nécessitant une préservation, nos travaux, en privilégiant une approche transdisciplinaire, entendent l’analyser comme une production sociale dont la dynamique politique, créatrice et esthétique est façonnée au présent par des acteurs et des logiques pluriels. Ces dernières amènent à interroger, parfois à contester, les limites des institutions ou des hégémonies culturelles, et s’inscrivent dans des rapports de pouvoir qui connectent centres et périphéries, espaces locaux et globaux.

Sans réduire les créations artistiques produites dans le contexte de patrimonialisation à leurs pures propriétés formelles ni à de simples effets sociopolitiques, nos recherches mettent plutôt en lumière la nature dynamique et les tensions qui structurent ces créations. Explorer la variété des matériaux utilisés – mots, mouvements, sons, images – nous permettra de saisir la dimension performative, sensible et affective des esthétiques en les articulant nécessairement aux contextes sociaux de leur production. Ces derniers dessinent l’espace de possibilités créatives et modulent leurs conditions de réalisation. Selon quels mécanismes la classification d’« authenticité » produit-elle de l’assignation identitaire ? Quels dispositifs créatifs génèrent des figures d’altérité ? Comment les différents imaginaires se configurent-ils dans les processus créatifs ? Quelles formes de conflit et de résistance peut-on y observer ? Dans quelle mesure les événements sensibles sont-ils des actes performatifs qui agissent sur et transforment l’organisation sociale ?

Cette séance sera animée par quatre post-doctorants du LabEx CAP en dialogue avec Jean-Marc Leveratto (Professeur, Université de Lorraine) et Cédric Yvinec (Chargé de recherche, CNRS, Mondes Américains).

 

PROGRAMME

9h00 : Mot de bienvenue

9h15 : Introduction de la journée par Jean-Marc LEVERATTO, sociologue (Université de Lorraine)

9h45 – 10h20 : Guillaume VERNET, Études cinématographiques et audiovisuelles(Université Rennes 2, HiCSA)

La « Défense du cinéma français » contre le cinéma américain : mobilisation politique et effets esthétiques (1946-1948)

Cette recherche souhaite revenir sur la mobilisation des acteurs du champ cinématographique français contre les accords Blum-Byrnes entre 1946 et 1948, afin d’interroger les relations entre les prises de position sociales et politiques et les revendications et choix esthétiques des acteurs de la mobilisation. En étudiant particulièrement les activités politiques et artistiques entre 1946 et 1948 du metteur en scène Claude Autant-Lara, principal animateur du Comité de défense du cinéma français et auteur du film français le plus commenté de la période, Le Diable au corps, il s’agira d’une part de préciser les contours de ce mouvement social d’ampleur, souvent réduit dans l’historiographie à quelques faits d’armes bien identifiés. Il s’agira d’autre part d’analyser comment s’y sont cristallisées des contre-propositions esthétiques, modélisées par Le Diable au corps, qui ont participé activement à ce combat contre l’hégémonie redoutée du cinéma américain, et dont l’influence sera durable au sein du cinéma français de l’après-Seconde Guerre mondiale. Cette présentation constituera un bilan d’étape de cette recherche en cours.

10h20 – 10h55 : Magda Helena DZIUBINSKA, anthropologue (IIAC, MQB)

« Quelle culture ont-ils à montrer ? » : performance, autochtonie et politique en Amazonie péruvienne

À travers l’analyse du premier film documentaire réalisé par une chaîne de télévision péruvienne sur la culture ancestrale des Kakataibo (Amazonie péruvienne) et de quelques brefs enregistrements vidéo de leurs performances culturelles effectués par les Amérindiens mêmes, cette présentation s’attache à montrer la manière dont l’utilisation de la vidéo a contribué à forger les conceptions amérindiennes de culture et de patrimoine en tant qu’expériences avant tout visuelles et spectaculaires. Deux dimensions complémentaires de ces productions filmiques nous intéresseront en particulier : l’enregistrement vidéo comme acte créatif et performatif, mais aussi en tant que médium des relations spécifiques que les groupes indigènes établissent avec l’État et d’autres populations locales et étrangères. Après avoir exploré dans un premier temps les esthétiques et les imaginaires liés à l’autochtonie qui sont mobilisés dans les projets documentaires amérindiens, et la manière dont ils manipulent les notions d’ancestralité, d’héritage et d’authenticité, il s’agira de mettre ensuite en lumière les enjeux politiques ainsi que le potentiel de résistance, d’émancipation et de revendication sous-jacents aux projets culturels autochtones.

Pause café 11h-11h20

11h20 – 11h55 Laura FLETY, anthropologue (IIAC, MQB)

De la création plastique à la performance chorégraphique d’une figure démoniaque (Bolivie)

Cette présentation porte sur la création plastique et chorégraphique d’une performance appelée Diablada ou « danse des diables », exécutée lors de la fête célébrant le Christ protecteur de La Paz, en Bolivie. En analysant la genèse de cette danse dévotionnelle, je mettrai en lumière comment une esthétique « démoniaque » est modelée et négociée par différents acteurs, de l’artisan qui en fabrique la matière – masques et costumes – au danseur qui la met en mouvement. Comment, à partir d’une expérience culturellement organisée et codifiée, sont instituées les valeurs morales et corporelles de cette danse ? Quelles représentations façonnent cette image contemporaine – en mouvement et en chair – du diable andin ? Enfin, plus largement, il s’agira d’interroger dans quelle mesure cette danse s’inscrit dans le phénomène d’expansion des fêtes patronales boliviennes œuvrant au renforcement d’une identité nationale dite « métisse » et « indigène » qui s’impose par de nouveaux langages esthétiques où s’entremêlent le sacré et le charnel, le solennel et la satire, la monstruosité et la beauté.

11h55-12h30 : Kaoutar HARCHI, sociologue (HiCSA, MQB)

« Nos langues devraient avoir leur chance ». Modalités de pratiques d’un nationalisme linguistique sénégalais chez Boubacar Boris Diop

Dans le cadre de ma communication, je m’intéresserai à une figure du paysage culturel sénégalais contemporain, Boubacar Boris Diop, qui œuvre depuis maintenant plusieurs décennies à faire la démonstration qu’au Sénégal, « les écrits […] en anglais ou en français n’ont été […] qu’une simple littérature de transition ». Ce qui signifierait, poursuit-il, que « le roman et la poésie d’expression française auront correspondu […] à une période de perte de repères, à un moment où le vainqueur […] a imposé ses lois et sa culture ». Qu’entendre par là ? Dans quelles mesures une telle prise de position serait une rupture effective d’avec l’idiome d’une francophonie jugée dominante et néocoloniale ? A partir de quel régime historique de valeurs Boubacar Boris Diop agit-il ? Quelles pratiques a-t-il développées afin d’asseoir la légitimité des langues nationales.

Discussion générale : 12h30-13h15