Au-delà de l’art et du patrimoine : expériences, passages et engagements – Troisième séance
Modérateur invité : Dimitri Vezyroglou, MCF Histoire du cinéma (Paris 1 – Panthéon Sorbonne, HiCSA/CERHEC), chercheur associé à l’IHTP (CNRS).
Loin d’évoluer en vase clos, le phénomène artistique a toujours été relié au champ du politique. Souvent appréhendées de manière dichotomique – art de propagande (artiste « vendu ») ou, à l’inverse, art résistant (artiste « libre »), les intrications entre les arts et le politique recouvrent des formes plurielles et complexes. La gamme de nuances s’étend de la détermination politique de l’art la plus sévère au réinvestissement de la sphère politique par les artistes, en passant par des effets de conformité dans la résistance et des tentatives de résistance dans la conformité. Basée sur des aires culturelles variées : Afrique (Congos), Asie (Japon) et Amérique du Sud (Argentine), cette séance propose d’étudier les rapports entre les formes culturelles, le politique et différentes formes d’engagement. Nous aborderons la notion de discours officiel au sein de régimes autoritaires, certains processus de réinventions ou de déterminations esthétiques relatives à un contexte politique donné, ou encore l’improbable bascule entre art de commande et art indépendant.
vendredi 19 juin 2015, 14h-18h
salle Jullian, Galerie Colbert
Programme
14h00 / Introduction
14h15 / « Les films documentaires du studio Iwanami et le paradigme cinématographique de la haute croissance au Japon – Les paradoxes d’un renouveau, 1950-1964 » / Mathieu Capel
15h15 / « Peindre le politique. Anthropologie comparée des imageries politiques des deux Congos en contexte monopartite (1964-1992) » / Nora Greani
16h15 / Pause
16h30 / « Possibilités d’un théâtre politique contemporain : étude de la réinvention politique et sociale dans le champ du théâtre argentin indépendant post-1983 » / Benoît Hennaut
17h30 / Discussion
Résumés des interventions
« Les films documentaires du studio Iwanami et le paradigme cinématographique de la haute croissance au Japon – Les paradoxes d’un renouveau, 1950-1964 » / Mathieu Capel (HiCSA, CRAL)
Inaugurés en 1950, les studios Iwanami ont été la plus importante compagnie de production de courts-métrages documentaires au Japon : films scientifiques, éducatifs, d’entreprise, et autres films « d’utilité » publique ou privée. Or ces films, sans doute marginaux dans l’histoire du cinéma, ont vu l’apparition d’un important contingent de réalisateurs, opérateurs et preneurs de son – ceux-là même qui, aux côtés des plus fameux Oshima, Yoshida ou Imamura, participent dans les années 1960 aux bouleversements du cinéma au Japon. Ainsi, là où, avec l’archiviste Rick Prelinger, on a souvent considéré l’étude des films d’utilité comme étrangère à toute « politique des auteurs », le milieu des films de promotion au Japon s’offre comme une anomalie ayant donné naissance à une exigeante théorie du « cinéaste ». Paradoxe heureux qui n’est que l’envers de frictions, d’audaces et de censures. Mais si, comme l’écrivent Vinzenz Hediger et Patrick Vondereau, « ce qui est en jeu dans les recherches sur les films d’entreprise, est l’interrelation complexe entre visualité, pouvoir et organisation », alors ces frictions permettent aussi d’enrichir la définition de ce que j’appellerai ici le « paradigme de la haute croissance économique ».
« Peindre le politique. Anthropologie comparée des imageries politiques des deux Congos en contexte monopartite (1964-1992) » / Nora Greani (LAHIC, HiCSA, Musée du Quai Branly)
Entre les années soixante et quatre-vingt-dix, dans un contexte de lutte pour la construction d’États nations indépendants et du rassemblement populaire autour de valeurs communes, les partis-État des deux Congos élaborent des politiques culturelles visant à relayer leurs orientations idéologiques. A la zaïrianisation orchestrée par Mobutu répond, de l’autre côté du fleuve Congo, un ralliement au marxisme-léninisme de plus en plus artificiel au fil du temps. Bien que les mises en scène officielles des mémoires collectives tendent actuellement à ignorer ce pan de l’histoire, l’ère monopartite a laissé en héritage une production artistique visuelle méconnue et encore jamais explorée dans une perspective comparative. Cette communication discutera particulièrement l’utilisation par les artistes-peintres de mêmes systèmes iconographiques diffusés, en résistance ou en conformité, dans des contextes politiques antagonistes.
« Possibilités d’un théâtre politique contemporain : étude de la réinvention politique et sociale dans le champ du théâtre argentin indépendant post-1983 » / Benoît Hennaut (BnF, CRAL)
L’après-1983 vit naître à Buenos Aires une scène théâtrale indépendante dont la vivacité n’est pas démentie aujourd’hui. Parmi ses thèmes de prédilection figure l’envie, voire l’obsession, de dire les difficultés et les paradoxes d’une identité encore et toujours malmenée, une « argentinité » dont la syntaxe continue à échapper. On voit dans bon nombre de pièces l’insistante déchirure réaliste qui traverse un huis clos humain, dont le premier objectif est pourtant obstinément de vouloir « recoller les morceaux ». Trois axes permettent de décrire les procédés dramaturgiques qui façonnent un théâtre dont le politique n’est jamais très loin des plateaux : le traitement performatif du réel, l’usage de l’intertexte, la thématisation micro-politique des situations. Sans vouloir uniformiser une scène théâtrale caractérisée par sa très grande diversité, on pourra néanmoins systématiser une approche descriptive et analytique qui éclaire les possibilités d’un dire politique au sein d’un faire esthétique.